L'institution

70e anniversaire de la libération du camp d'Auschwitz - 27 janvier 2015

Mise à jour le 21/06/2017
Discours du mardi 27 janvier 2015
Monsieur le Président,
Madame la Secrétaire générale,
Mesdames et Messieurs les directrices et directeurs d’établissement scolaire,
Mesdames et messieurs les élus,
Chers amis,
Il y a soixante-dix ans, les Alliés découvraient, en libérant le camp de concentration d’Auschwitz, toute l’étendue de l’horreur de l’Holocauste. Il est impossible d’oublier le regard, l’expression terrible des yeux de ces hommes, de ces femmes et de ces enfants que la barbarie nazie avait tenté de dépouiller de leur humanité.
L’horreur est d’autant plus difficile à effacer lorsqu’elle frappe à notre porte, en enlevant et en mettant à mort les enfants de notre arrondissement. 14 000 enfants juifs furent en France les innocentes victimes de la redoutable machine à tuer des camps, 6200 à Paris, 117 dans le 5e arrondissement.
A l’évocation de ces sinistres chiffres, j’ ai à l’esprit les 40 000 petites chaussures d’enfants que j’ai découvert avec horreur à Auschwitz, ce dimanche même. 40 000 chaussures : à peine une semaine d’extermination dans ce camp !
Ces pauvres petites victimes, les plus innocentes parmi tous les innocents étaient âgées de quelques mois ou quelques années à peine, elles furent toutes envoyées à la mort.
« Pas un cri, pas une protestation ne vint des wagons, ou les visages se pressaient derrière les croisillons des fenêtres. Et ce silence, ce courage paisible jusqu'au dernier instant, était plus déchirant que des larmes. », écrit Serge Klarsfeld, à propos des enfants du camps des mille, livrés aux nazis et à la déportation.
Plus d’enfance, plus d’innocence qui tiennent .
1,3 millions de juifs trouvèrent la mort à Auschwitz. Pour 900 000 d’entre eux, celle-ci fut immédiate, dans les chambres à gaz. Pour les autres, l’espérance de vie ne dépassait pas trois mois de torture, de faim, de froid, de labeur exténuant, de traitements abominables. Sommet de l’horreur et de la perversion : les prisonniers devenaient eux-mêmes les rouages, les ouvriers de l’usine d’extermination des camps. Effrayant dispositif où la mort s’engendre elle-même.
Seuls régnaient l’ordre cauchemardesque de l’appel, et la mort infligée sans raison. « A Birkenau, j'ai été à l'appel, j'ai eu soif et peur de la mort. C'était tout, et rien de plus. » Ainsi témoignait Ruth Klüger, enfant déportée à Auschwitz.
Dans les camps, une partie de l’humanité a tenté de nier une autre partie, d’en effacer jusqu’à la trace sur terre. Avant d’abandonner Auschwitz aux Soviétiques, les nazis firent exploser les chambres à gaz des camps, et massacrèrent la plupart des déportés encore vivants. Il ne fallait laisser aucune preuve, aucun témoignage de ces hommes, de ces femmes, de ces enfants qu’un dispositif d’extermination avait voulu anéantir. En niant l’humanité des déportés, en s’acharnant à la faire disparaître, les bourreaux ont nié leur propre humanité.
Il y a dans cette horreur sans précédent quelque chose d’indicible que la conscience ne peut appréhender. La difficulté à mettre un nom sur l’ignominie absolue : Holocauste, Shoah, Solution finale, génocide, témoigne d’une horreur qui dépasse tout entendement. C’est si vrai que Claude Lanzmann ne désigna l’œuvre de témoignage qui allait devenir Shoah, que par « l’Innomable ».
L’Innommable renvoie au champ des responsabilités, de nos responsabilités passées, présentes et à venir. L’Innommable renvoie l’humanité à cette lancinante question : comment l’être humain peut-il arriver à ce point d’horreur. On ne redira jamais assez que l’Holocauste s’est produit dans une Europe éduquée, cultivée, soi-disant civilisée.
Le Président du Mémorial de la Shoah, Eric de Rothschild, me disait sa révolte devant l’inanité de l’expression « Plus jamais ça » car cette expression répétée à l’infini semble finalement nous exonérer de poser la question de la responsabilité de chacun.
« Ici, il n’y a pas de pourquoi », « Hier ist kein warum » : était l’antienne lancinante de l’abrutissement de mort qu’évoque si douloureusement Primo Levi. Refuser le pourquoi, se soustraire à la responsabilité, à la question, c’est céder à la barbarie.
Pour que la barbarie ne l’emporte pas, nous devons, demander pourquoi et exercer sans relâche notre devoir de mémoire, sans amnésie aucune.
Le devoir de mémoire est nécessaire . Il est parfois oh combien douloureux.
Les déportations d’enfants, au Vélodrome d’Hiver, au camp de Drancy, furent le fait des autorités françaises.
Le Gouvernement de Vichy tentait par cet asservissement de maintenir une illusion de pouvoir, de légitimité administrative.
« Ces heures noires souillent à jamais notre histoire, et son injure à notre passé et à nos traditions. Oui la folie criminelle de l’occupant a été secondée par des Français, par l’État Français. (…) La France, patrie des Lumières et des Droits de l’Homme, terre d’accueil et d’asile, la France, ce jour-là, accomplissait l’irréparable. ». Ces paroles historiques furent prononcées courageusement par le Président Jacques Chirac, en présence de Simone Weil, lors de la Commémoration de la Rafle du Vel d’Hiv, en juillet 1995.
Alors oui, le devoir de mémoire est indispensable et admirable.
Les enfants juifs n’avaient commis d’autre crime que d’être juifs. En eux, c’était l’étranger, la victime par excellence, le bouc émissaire des maux du siècle, que l’on cherchait à frapper. Ces enfants étaient désignés à la vindicte, rendus responsables, par leur existence même, d’une défaite, d’une peur consumant le courage des hommes en même temps que les valeurs de la communauté.
Cette folie dévorante, nous en entendons aujourd’hui les échos. Ne nous bouchons pas les oreilles ! Nous avons entendu les slogans antisémites. Nous avons entendu cet effrayant mot d’ordre « Mort aux Juifs ». Nous entendons « Mort aux musulmans », « Mort aux chrétiens », « Mort aux Français ». Le terrorisme n’en est que la manifestation la plus frappante. La liberté de s’exprimer, la liberté d’être tel que la naissance nous a fait, la liberté d’être tel que nous souhaitons être, sont niées avec une vigueur et une hostilité croissante. Nous voyons, au terrible détour d’une scène quotidienne, des hommes et des femmes céder à la bestialité d’une remarque haineuse, laisser éclater la rage de l’angoisse.
Soyons vigilants ! Face à la menace, ne cédons ni à la peur, ni à la folie, qui veulent que le plus faible soit aussi le responsable et la victime expiatoire. Plus que jamais, la devise de liberté, d’égalité et de fraternité de la République doit être défendue.
Face à la violence et à la barbarie, seuls la justice et la fraternité peuvent l’emporter.

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