L'institution

Cérémonie d'apposition de la plaque en mémoire de Charlotte DELBO - 8 mars 2016

Mise à jour le 20/06/2017
Discours du 8 mars 2016.
Discours de la Maire lors de la cérémonie d’apposition de la plaque en mémoire de Charlotte DELBO
- Madame l’Adjointe à la Ville de Paris, Madame Catherine VIEU-CHARIER,
- Mesdames et Messieurs les représentants de l’Association des amis de Charlotte DELBO :
- Messieurs les porte-drapeaux :
- Monsieur le Directeur de l’École élémentaire Rollin, Monsieur Philippe CHRETIEN ;
- Mesdames et Messieurs les élus,
- Mesdames et Messieurs,
« Écrire est un acte qui engage tout l’être. C’est un acte grave, dangereux. Il y faut du courage. On y risque parfois sa vie et sa liberté, toujours sa réputation, son nom, sa conviction, sa tranquillité, quelquefois sa situation, souvent ses amitiés. On met en jeu sa sensibilité, ce qu’il y a de plus profond en soi. On s’arrache la peau. On se met à vif. »
Bien plus qu’un testament littéraire, ces quelques mots extraits d’une chronique parue dans Le Monde du 11 septembre 1981 résonnent aujourd’hui comme un témoignage de la vie de Charlotte DELBO qu’elle semble nous léguer quelques années avant sa mort. L’écriture occupait une place centrale dans la vie de Charlotte DELBO : elle en était non seulement le cœur, mais aussi la raison d’être. Forte de sa plume, elle exprimait avec passion et talent l’indicible, l’incompréhensible, l’intouchable.
Par l’apposition de cette plaque commémorative en l’honneur de Charlotte DELBO en cette journée internationale de lutte pour les droits des femmes, nous rendons hommage au parcours d’une femme d’engagement, dont l’esprit de liberté et de justice se lisait au reflet de sa plume.
Après avoir découvert le marxisme et intégré les Jeunesses communistes, le parcours de Charlotte DELBO est d’abord lié au théâtre. Elle sera alors l’assistante du metteur en scène Louis JOUVET dans la troupe du théâtre de l’Athénée qu’il dirige.
En 1941, alors que la troupe est en tournée en Amérique latine, Charlotte DELBO décide de rejoindre en France son mari, Georges DUDACH, et d'entrer dans la Résistance clandestine. Elle intègre alors le groupe Politzer, responsable de la publication des journaux clandestins « Lettres françaises » et sera notamment chargée de l'écoute de Radio Londres et de Radio Moscou. Mais le 2 mars 1942, le couple est arrêté par les Brigades spéciales. Georges DUDACH est fusillé au fort du Mont-Valérien le 23 mai 1942 tandis que Charlotte DELBO est incarcérée à la Santé. Elle sera transférée à Romainville en août 1942 avant d'être déportée par le convoi du 24 janvier 1943 aux côtés de 230 femmes déportées politiques à Auschwitz, puis à Ravensbrück en janvier 1944.
De sa déportation dans les camps de concentration, Charlotte DELBO en tirera une œuvre littéraire saisissante. Je pense notamment aux trois tomes de son œuvre intitulée « Auschwitz et après » et publiée 20 ans après sa libération des camps.
Auschwitz et après : Quelle suite humaine, politique et littéraire peut-on encore donner au monde ? Comment peut-on encore penser le monde quand l’impensable fut l’œuvre de l’homme et d’autant plus quand on figure parmi ses innombrables victimes ?
« Pour porter à la connaissance, pour porter à la conscience » écrit-elle. Écrire pour survivre, écrire pour témoigner, écrire pour exister. Dans une prose poétique entrecoupée de saynètes et de nouvelles, l’écriture et le langage de Charlotte DELBO expriment le quotidien noir de sa détention, de son arrivée au camp jusqu’aux marches de la mort.
Seule la poésie, disait-elle, « permet de donner à voir et à sentir au lecteur et de porter à la conscience du lecteur la vérité par le langage ». De cette prose poétique, elle en fera une force littéraire majeure durant sa déportation.
Face à la barbarie du quotidien, la littérature et le théâtre viendront sauver quelques instants d’humanité lorsque Charlotte DELBO parvient à se remémorer les tirades du Malade imaginaire au point d’en produire une représentation autour de codétenues rassemblées le soir : « C’était magnifique (dit-elle) parce que, pendant deux heures, sans que les cheminées aient cessé de fumer leur fumée de chair humaine, pendant deux heures, nous y avons cru ».
Par ce travail sur la mémoire et sur le langage, c’est toute la force de l’écriture et de l’acte d’engagement qui consacrent le talent littéraire de Charlotte DELBO au service de la liberté et de la préservation de la vie humaine. Loin de vouloir établir un savoir sur les camps d’extermination nazis, la plume de l’écrivaine dresse la vérité d’un vécu inimaginable.
Notre conscience citoyenne de lecteur du XXIème siècle ne peut se soustraire à la lecture de cette œuvre qui nous rappelle la part obscure de notre fragile humanité en ce début du 3ème millénaire.
Mais la vie et l’œuvre littéraire de Charlotte DELBO nous montrent aussi combien la défense de la liberté est un ardent combat. J’ai une pensée toute particulière pour les victimes à qui l’obscurantisme et l’extrémisme ont confisqué les droits, la dignité humaine et parfois la vie. Et je ne peux m’empêcher de penser aux femmes en cette journée internationale de lutte pour la préservation de leurs droits, si souvent prises pour cibles favorites et objets des trafics les plus abjects.
Je suis fière de pouvoir participer à l’apposition d’une plaque commémorative en l’honneur d’une femme d’engagement, de conviction et de liberté au cœur de notre arrondissement des cultures, de la mémoire, des mémoires. Se souvenir, c’est plus que jamais, défendre nos valeurs, s’engager, et donner un sens à nos vies.
Face à la violence, à la barbarie et aux incertitudes du monde, nous devons nous souvenir de celles et ceux qui, hier, ont fait de la liberté tant un idéal qu’un combat face au doute et à la résignation.

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